Sylvain Urfer, « Le seul remède est culturel »

, -, Actualité, 20 septembre 2012

Père jésuite natif de Mulhouse, Sylvain Urfer vient de publier “Madagascar, une culture en péril ?”, ouvrage dans lequel ce prêtre, qui vit sur la Grande Île depuis près de 40 ans, pose son regard sur la société malgache et son avenir.

Connu pour ses prises de position critiques à l’encontre du régime malgache, le père Sylvain Urfer avait été expulsé en 2007. La démission de l’ancien président Marc Ravalomanana deux ans plus tard a permis à ce jésuite, fondateur du SeFaFi (l’observatoire de la vie publique), de retourner dans ce pays qui l’a accueilli en 1974.

– A la suite de votre expulsion puis de votre retour d’exil, avez-vous acquis une certaine « notoriété » à Madagascar ?

Oui, à l’évidence. La nouvelle de mon expulsion a été véhiculée jusque dans les brousses les plus lointaines, et généralement mal acceptée, en raison de mon statut de prêtre autant que de mon engagement au sein de la société. Mon retour a été ressenti comme la réparation d’une injustice. Pour moi, cette notoriété accrue est synonyme de responsabilité accrue à l’égard du pays ».

– La commission électorale a arrêté la date de la prochaine présidentielle, le 8 mai 2013. Cette annonce met-elle un terme à la crise politique qui oppose le président du comité de transition, Andry Rajoelina, à l’ancien président Marc Ravalomanana ?

Ces élections pourraient résoudre le conflit Ravalomanana-Rajoelina, à la condition que les deux s’abstiennent de se présenter : Andry Rajoelina y consent, mais Marc Ravalomanana s’y refuse.
Madagascar vit une mutation traumatisante.
Plus largement, la crise malgache n’est pas seulement politique, elle est socio-culturelle et prendra sans doute encore deux générations avant d’être surmontée. Madagascar (comme l’Afrique subsaharienne) vit une mutation traumatisante, celle du passage d’une société traditionnelle à une société moderne. Une élection sans Ravalomanana ni Rajoelina donnera au pays le temps d’une trêve lui permettant d’affronter les prochaines crises dans de meilleures conditions ; une élection avec les deux, quelle qu’en soit l’issue, avivera les antagonismes à tel point qu’une guerre civile ne sera plus à exclure.

– Vous écriviez, il y a 2 ans dans les DNA, que ce pays subissait depuis 50 ans un échec politique et social. Comment y remédier ?

A cet échec, il n’y a pas de remède économique, encore moins politique. Le seul remède est culturel. Il consiste à accompagner la mutation sociale en cours pour que le comportement social des générations à venir, qui est déjà et sera de plus en plus différent de celui de leurs aînés, reste animé et orienté par les meilleures valeurs malgaches. Faute de quoi, la société sombrera dans une perte générale de repères qui mènera à toutes les violences et à toutes les misères. Cette tâche, longue et fastidieuse, incombe à tous les membres de la société civile, et tout particulièrement aux Églises.

– Quels sont les atouts de ce pays ?

– Ils sont immenses : un pays plus grand que la France, plus de 50 millions d’habitants d’ici 2050, des ressources naturelles incomparables (agricoles, forestières, énergétiques, minières, halieutiques, touristiques, avec une faune et une flore exceptionnelles, endémiques à 80 %, etc.). Mais sortons de l’hypocrisie des diplomates et des politiques, qui ne cessent de vanter les “potentialités” de Madagascar : un potentiel ne signifie rien s’il n’est pas mis en valeur ou, pire encore, s’il est détruit ».

– Dans votre nouvel ouvrage (*), vous évoquez la crise de valeurs traditionnelles de la société malgache. Pourriez-v ous développer ?

La Grande Ile vit une profonde crise des valeurs, inéluctable et inscrite dans l’histoire longue. Le premier, Valéry a pris conscience du fait que les civilisations sont mortelles. L’Europe devrait le savoir, qui est aujourd’hui confrontée à cette réalité. Une culture qui n’évolue pas meurt. Mais à la différence de l’Europe vieillissante, Madagascar, tout comme l’Afrique, est en proie aux maladies de la jeunesse. Il lui faut entrer en modernité, assumer la citoyenneté et la gestion du collectif en dépassant l’horizon familial et ethnique, maîtriser le temps en s’appropriant le sens du travail et de l‘argent, garantir l’autonomie de la personne dans le groupe sans perdre la solidarité ni tomber dans l’individualisme, désacraliser le pouvoir en échappant au sectarisme de la laïcité à la française, etc. C’est dire que la tâche est aussi passionnante que variée !

Article paru 2e 20/09/2012 dans le quotidien Dernières nouvelles d’Alsace. Photo © DNA.
Propos recueillis par Nicolas Roquejeoffre.

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